les cartes et le territoire

17 septembre 2018

J'ai récemment découvert le projet OpenStreet Browser qui permet d'afficher différents types de lieux cartographiés par la communauté, des restaurants aux bibliothèques en passant par les toilettes publiques. Pour tester l'application, j'ai simplement recherché un quartier dans mon voisinage et activé le filtre des restaurants. J'ai été tellement surprise du résultat que je suis immédiatement allée effectuer la même opération sur google map, pour vérifier. La différence entre les deux cartes est impressionnante et elle tient avant tout à un “simple” choix de conception : là où OpenStreet Browser présente l'ensemble des résultats qu'il possède sur la carte, Google Maps ne m'en montre qu'une sélection.

Sur OpenStreet Browser, on voit très clairement à quel point les restaurants dans le quartier se sont regroupés autours de la grande station, mais également le long d'une rue auprès d'une station plus petite. Lorsque l'on regarde la carte de google, on pourrait presque croire que les restaurants sont relativement bien répartis, tels de petits îlots, dans le quartier. Parce qu'ils cherchent à proposer une expérience en tout point et en tout lieu homogène, les designers de google se trouvent obligés de lisser les espaces et les villes.

La carte comme espace d'affichage publicitaire

Ce choix, presque anodin, a profondément transformé mon expérience de la ville.
Ce choix de la lisibilité efface toute possibilité d'une lecture de l'environnment et permet surtout à google d'excercer un pouvoir sur le choix des restaurants à afficher. Il peut alors utiliser cela comme une opportunité de monnayer l'affichage sur la carte : c'est une vision de la carte comme panneau publicitaire. La carte de google n'est pas pensée comme une carte qui donnerait à lire un espace et permettrait de l'explorer. Google est avant tout un moteur de recherche, la carte est avant tout pensée comme un espace d'affichage des résultats d'une requête. Pour google, une carte parfaite serait une carte où ne serait affichée qu'un seul restaurant, celui qui correspond à mon envie. C'est dans cette optique, par exemple, que Google a introduit un “taux d'affinité”, indicateur qui peut à terme permettre de n'afficher que les restaurants “correspondants à mes goûts”.

A l'inverse, OpenStreet Browser m'a offert une nouvelle lecture de l'espace qui m'entoure. J'ai enfin pu mettre une image sur cette perception diffuse du voisinage que je m'étais petit à petit construite à force de déambulations. La différence entre les deux cartes tient avant tout au travail de design. OpenStreet Browser n'est presque pas “designé” au sens où il s'agit d'un simple système de filtres à activer ou désactiver. Du coté de la carte Google au contraire, le travail de design est extremement poussé. En effet, la sélection dynamique des restaurants à afficher prend par exemple en compte leur répartition dans l'espace pour éviter autant que possible le chevauchement des labels. Effectivement, sur la carte d'OpenStreet Browser, les épingles se supperposent et en deviennent indéchiffrables tandis que tous les intitulés sont toujours parfaitement lisibles et cliquables sur google. Or, ce travail sur la légibilité des labels — qui correspond à ce que l'on attend traditionnelement du design — oblige à lisser l'espace et casser tout lien avec le territoire. Car les rues de Tokyo sont tout aussi illisibles et les restaurants tout aussi enchevêtrés que sur la carte d'OpenStreet Browser. Les villes que dessinent google map sont modelées d'après une vision très plannificatrice de la ville.

Et si au contraire, nos cartes tentaient de faire résonner les espaces qu'elles cartographient ? Par exemple en indiquant par un choix de couleur l'animation de certaines rues ou bien, au contraire, le silence des autres. Parce que nos cartes numériques sont interactives, elles n'ont plus nécessairement besoin de forcer une lisbilité parfaite à chaque échelle car on peut tout à fait ajuster soi-même sa lecture par le zoom ou le filtrage. Nos cartes pourrait alors en devenir plus vastes que le territoire.